Chercheure d’histoire : Blanche Israël
Personne passée en entrevue : Jael Richardson, directrice générale et fondatrice
Date d’entrevue : le 22 septembre 2021
Tenu annuellement à Brampton, Ontario depuis 2016, le Festival of Literary Diversity (FOLD) est le premier festival au Canada consacré à la célébration d’auteures et auteurs, et de conteuses et conteurs sous-représentés. Le FOLD offre des événements uniques pour les enfants et les adultes qui captent l’intérêt du lectorat, inspirent les gens de lettres et autonomisent les personnes travaillant dans le domaine de l’éducation en soulignant des voix importantes de la littérature.
Le festival annuel se déroule de la fin avril au début mai. Quand la pandémie a frappé en mars 2020, la directrice générale et fondatrice du FOLD Jael Richardson et son équipe étaient bien positionnés pour un festival en personne avec des plans complets prêts à être exécutés, dont des événements en présentiel pour plus de 1 000 personnes et une liste complète d’auteures et auteurs invités venant de partout dans le monde. Tandis que beaucoup d’autres festivals décidèrent d’annuler, en mai, le FOLD fit rapidement la transition à un festival virtuel. Pour ses éditions 2020 et 2021, le festival rechercha avec soin et adopta le tout dernier logiciel, fit preuve de créativité dans la conception de leur programme et plaça les auditoires au centre de leurs décisions, ce qui a fait du FOLD un chef de file à émuler dans l’industrie littéraire.
L’innovation : Aller de l’avant avec créativité et des innovations commerciales
La transition du festival en 2020 sur Zoom se fit qu’en quelques semaines, en partie parce que les communautés desservies par le FOLD étaient aussi celles qui étaient le plus touchées par la COVID-19. « Parce que nous nous concentrons sur les communautés marginalisées, nous savions que si des communautés vulnérables étaient impliquées, nous ne pouvions pas l’organiser pour certaines personnes et en exclure d’autres, dit Jael. Alors nous avons vite décidé de basculer au virtuel. »
Le passage à un festival numérique a exigé un apprentissage ardu qui fixa en fin de compte une nouvelle barre pour les festivals littéraires virtuels.
En 2020, les objectifs principaux du FOLD étaient de respecter les valeurs du festival et d’apprendre et s’adapter sur-le-champ. « La première année, nous avons essayé de penser à nos priorités et essayer d’arriver à comprendre comment appuyer nos auteures et auteurs pendant cette période difficile », dit Jael. Le processus décisionnel de l’équipe était guidé par le désir d’appuyer les artistes à un moment où beaucoup de festivals d’été et d’automne avaient déjà annulé toute leur programmation. « Au moment où nous l’avons fait, personne d’autre n’allait de l’avant avec leurs événements, dit Jael. Nous étions le seul festival littéraire à lancer des événements en direct virtuellement. »
L’année suivante, le FOLD avait acquis le logiciel, le soutien et les connaissances nécessaires pour élaborer une expérience en ligne élégante et organisée minutieusement. Voulant quelque chose de plus sophistiqué et plus personnalisable que Zoom, le FOLD se tourna vers des options plus spécialisées sur le marché. « Je faisais de la recherche sur un paquet de plateformes, se rappelle Jael. Trouver la bonne plateforme devint une obsession. » Jael et son équipe ont traité leur recherche de la même manière qu’ils l’auraient fait pour leur événement en personne, utilisant ce qu’ils auraient normalement dépensé sur leur site comme budget pour la plateforme en ligne. Ils se mirent d’accord sur une option hautement personnalisable nommée vFairs, basée en Inde. Le FOLD, qui avait été gratuit auparavant, a commencé à exiger un prix d’entrée pour le festival, mais réussit néanmoins à maintenir les taux de fréquentation tout en permettant d’accroître l’accessibilité, de rejoindre plus de personnes et d’assurer plus de sécurité au sein de la communauté.
La vente de livres est un aspect important pour n’importe quel festival littéraire. En 2020, avec les nouvelles contradictoires concernant la possibilité de transmettre la COVID-19 par la poste, « nous avions du mal à savoir si nous devrions même encourager la vente de livres », se rappelle Jael. Cependant, en 2021, lorsqu’il était évident que le risque de transmission par la poste était minime, appuyer le marché littéraire passa au premier plan. « Une grande question dans l’industrie est comment faire en sorte que les gens achètent des livres en ligne de la même manière qu’ils en achètent en personne », dit Jael. Le FOLD travailla avec Another Story Bookshop, une librairie indépendante qui n’avait pas les moyens de rivaliser avec les géants des ventes en ligne en offrant la livraison gratuite à sa clientèle. Le FOLD couvrit les frais de livraison de la librairie au Canada pour la durée du festival et offrit des sacs-cadeaux du festival pour inciter davantage l’achat de livres.
Les défis : Sécurité en ligne, changements dans le comportement des auditoires et réticence des bailleurs de fonds
Bien que Jael était fière de ce que le FOLD accomplit en mai 2020, tout ne se déroula pas sans accrocs. « C’était une transition chaotique », dit-elle. Les membres du comité d’organisation apprenaient comment gérer des événements sur Zoom au fur et à mesure, les rendant particulièrement vulnérables aux trolls en ligne et aux comportements d’incivilité. « Nous ne savions pas comment fermer la fonction de clavardage, nous ne savions pas comment passer au mode webinaire », se rappelle Jael. Améliorer la capacité du festival à minimiser les problèmes de sécurité était une préoccupation majeure à laquelle ils voulaient s’attaquer lorsque le FOLD évolua à une nouvelle plateforme en 2021.
Les comportements des auditoires évoluèrent rapidement au fur et à mesure que la pandémie avançait, ce qui engendra certains défis liés à la programmation. Jael nota « qu’il était difficile de savoir comment les gens consomment réellement le contenu ». Une des leçons tirées du festival en 2021 était que beaucoup de personnes présentes désiraient consommer le contenu rétroactivement — sur demande plutôt qu’en direct. Le festival avait évité de programmer quoique ce soit en même temps pour permettre de regarder tout le contenu en direct, mais Jael croit maintenant que cela n’avait peut-être pas été nécessaire. Parce que la plateforme vFairs facture par jour, « tu peux économiser de l’argent si tu as moins de jours et que tu offres plus de séances par jour, sans les avoir toutes en direct », nota Jael.
Les bailleurs de fonds du FOLD leur montrèrent de la réticence dans leur choix d’une plateforme virtuelle qui n’était pas canadienne. Du point de vue de Jael cependant, vFairs était la plateforme qui s’alignait le mieux à la mission du festival : « oui, c’est une plateforme étrangère, mais 90 % de son personnel est composé de personnes de couleur. Alors les bailleurs de fonds voient la plateforme comme étant une chose, et moi je la regarde comme étant autre chose. » Bien que des plateformes locales aient été explorées, Jael nota que ces compétiteurs ne retournaient pas leurs appels ou ne comprenaient pas aussi bien la mission du FOLD que vFairs.
Les finances : Maintenir la confiance des bailleurs de fonds et développer de nouvelles sources de revenus
En mai 2020, avec l’annulation soudaine des réservations de vols et d’hôtels, le FOLD avait une occasion d’augmenter les honoraires pour les auteures et les auteurs. Cependant, certains se souciaient que les organismes subventionnaires demanderaient de rembourser les frais de voyage prévus au budget, alors le FOLD réfléchit beaucoup à la façon de démontrer une refonte du festival en virtuel qui maximiserait et réaffecterait les ressources disponibles et prévues au budget. « Nous voulions garder autant d’argent possible — ceci était une rare occasion pour nous de distribuer l’argent d’une différente façon », dit Jael. Cette pensée créative fut payante à long terme, puisque les bailleurs de fonds souhaitaient investir dans des organismes qui développaient des approches innovatrices permettant aux artistes de continuer de travailler pendant la pandémie. « Les bailleurs de fonds veulent voir que tu innoves, fait noter Jael. Nous étions des leaders dans ce domaine et nous devrons en demander plus dans le futur pour arriver à comprendre des choses pour que d’autres festivals puissent nous copier. »
En 2021, le FOLD créa deux nouvelles sources de revenus tout en maintenant son financement en provenance de maisons d’édition et de sources gouvernementales, y compris la Ville de Brampton. Dans un premier temps, le FOLD a commencé à vendre des t-shirts et des cotons ouatés. Ensuite, le FOLD décida d’imposer des frais d’admission. Passer au virtuel permit au festival d’accroître le nombre de personnes présentes de 1 000 en présentiel en 2019 à 5 000 lors du festival virtuel gratuit en 2020. En 2021, « malgré que les personnes participantes devaient payer 30 $, nous avions tout de même 4 000 personnes présentes. C’était une source de revenus complètement nouvelle pour le festival », dit Jael.
Bien que cela fût avantageux sur le plan financier, la décision d’exiger des frais d’admission était prise en grande partie comme un moyen de contrôler la foule. « S’ils payent, nous pouvons les suivre et les tracer et réagir en fonction de cela. » Pour Jael, réaliser que les auditoires trouvaient que le festival en valait le prix d’entrée fut une énorme leçon. « Nous avons tergiversé sur la décision d’imposer des frais d’admission. Financièrement, cela dressait un obstacle, mais d’après mon expérience, les gens ont plus tendance à assister à des événements payants qu’à des événements gratuits, et le taux de participation est beaucoup plus prévisible. » Jael a souligné qu’il existe encore des façons de permettre aux membres de la communauté qui n’ont pas les moyens d’assister au FOLD gratuitement, comme le programme de laissez-passer pour les mécènes du festival, qui offre un laissez-passer au festival au public et aux gens de lettres qui n’auraient pas autrement les moyens d’assister au festival littéraire.
Les leçons : Réactivité et accessibilité
Jael croit que la pandémie a servi d’occasion pour les organismes comme le FOLD de devenir plus souple. Comme jeune organisme, le FOLD était ouvert à adopter des modèles d’affaires qui brouillent le fossé traditionnel entre les valeurs de croissance et de réactivité de la clientèle du secteur à but lucratif et l’approche axée sur la communauté du secteur à but non lucratif. « Les entreprises doivent toujours s’adapter à ce que la clientèle fait, où et quand elle le fait. [Les organismes à but non lucratif] retardent souvent cela », dit Jael. « Si on s’intéresse à la croissance, on doit prêter attention et répondre. » Elle a noté que la littérature a eu un avantage par rapport à d’autres formes d’art pendant la pandémie à cause de sa flexibilité : « les événements en direct, la musique, la danse, le théâtre — ces disciplines sont très difficiles à répliquer dans un espace virtuel. Cela s’est mieux passé pour la lecture : les ventes de livres ont augmenté. »
Selon Jael, il était clair dès le premier festival virtuel qu’une offre en ligne serait une partie essentielle de la programmation du FOLD à l’avenir. Ce que le festival réussit à accomplir virtuellement s’aligne avec ses valeurs d’accessibilité. « Quelque chose d’important s’est produit pendant la pandémie : tout est devenu plus accessible virtuellement », dit Jael. Le FOLD a réussi à atteindre plus de cinq fois le nombre de personnes grâce au passage à un format virtuel . « Je crois que cela va augmenter notre budget, mais pour les bonnes raisons — pour rejoindre plus de monde. » Cela dit, Jael fait attention de ne pas présumer que cette expansion sera illimitée. « En termes de nombres, nos auditoires proviennent encore en grande partie du Canada, avec la plupart des personnes participantes en provenance de Toronto. Mais nous avons eu de grosses éruptions de Vancouver et d’Ottawa, des gens qui n’auraient jamais été capables de venir au FOLD auparavant. »