Chercheure d’histoire : Blanche Israël
Personnes passées en entrevue : Julie Friddell, directrice du développement et Lesandra Dodson, directrice de la programmation
Date d’entrevue : le 16 septembre 2021
Le Fredericton Playhouse est un établissement d’arts de la scène professionnel au Nouveau-Brunswick. Étant avant tout un diffuseur, le Playhouse accueille généralement des compagnies et des artistes locaux, nationaux et internationaux. Le Playhouse produit aussi ses propres séries professionnelles et offre des programmes éducatifs et de rayonnement.
En juin 2020, tandis que les tournées durent s’arrêter et que la salle demeurait dans le noir, la directrice de la programmation Lesandra Dodson réalisa qu’une occasion se présentait à l’organisme de se concentrer sur l’une de ces initiatives stratégiques qui n’était pas axée vers le public : de combler le fossé avec les artistes au Nouveau-Brunswick et faire en sorte que plus d’artistes puissent créer sur scène.
Par le passé, le programme de résidence fournissait aux artistes l’accès au théâtre et à l’équipement, ainsi que de l’aide pour rédiger des demandes de subvention et du soutien administratif pour leurs projets. L’idée de créer un programme de résidence plus expansif et structuré fut façonnée par la résidence en danse sur mesure du Playhouse, dont Lesandra avait fait l’expérience comme chorégraphe.
Le nouveau programme, intitulé InterMISSION, fut conçu pour appuyer les artistes et les techniciennes et techniciens en leur offrant des projets rémunérés où ils auraient l’occasion d’utiliser les installations du Playhouse afin de créer et de collaborer en toute sécurité et en respectant les restrictions sanitaires. Le Playhouse finança 13 projets de résidence pour le développement des talents qui anima le lieu de septembre 2020 à mars 2021. Les sujets des résidences comprenaient :
- L’exploration de la danse et du théâtre à travers le cinéma;
- Des ateliers sur de nouvelles compositions musicales y compris des représentations publiques d’un nouveau film musical;
- Des concerts de rock filmés en direct et accompagnés de projections artistiques; une exploration de l’improvisation musicale grâce à l’acoustique propre au site;
- Une histoire de vie audiovisuelle; et
- La numérisation d’un ensemble à vents.
« Je ressentais que c’était un tellement bel échantillon de tout ce qui existe dans notre communauté artistique, indiqua Lesandra. Leur donner un espace pour créer, surtout durant une période comme celle-ci, c’était très spécial. »
Les innovations : Payer les artistes directement, entreprendre une campagne spéciale et mettre l’accent sur le numérique
Bien que le Playhouse ait organisé des résidences par le passé, elles étaient généralement informelles — le résultat d’un artiste qui approchait la direction de la programmation avec une idée précise en tête. « Avant la pandémie, c’était plutôt fait dans l’obscurité, la communauté n’était pas au courant, dit Lesandra. La COVID a rendu le tout plus officiel pour nous. » L’organisme n’avait jamais été impliqué directement dans un programme de résidences d’artistes structuré au sein duquel les artistes étaient payés directement du projet, mais ils avaient souvent aidé les artistes à obtenir du financement et leur avaient donné accès aux installations du Playhouse pour de tels projets.
InterMISSION donna lieu à beaucoup d’occasions pour les artistes, comme le raconte Julie Friddell, directrice du développement : « en fin de compte, nous avons embauché et payé plus de 50 artistes — non seulement les artistes en résidence chez nous, mais aussi les vidéographes qui faisaient la documentation numérique et notre propre personnel. » En plus des artistes qui participèrent, les diverses résidences impliquaient sept mentors, six vidéographes et concepteurs de son et une équipe technique composée d’employés à temps plein et contractuels que le Playhouse a été capable de ramener après des mises à pied temporaires.
Offrir de la documentation vidéo dans le cadre des résidences d’artistes était une valeur ajoutée importante dans le contexte de la pandémie, pour les artistes comme pour le Fredericton Playhouse. Les artistes sont sortis de leurs résidences avec du contenu numérique précieux qu’ils pouvaient utiliser pour promouvoir et partager leur travail et pour créer un dossier de presse. Les réalisations du Playhouse grâce aux résidences devraient les aider à amasser des fonds de mécènes et de bailleurs de fonds gouvernementaux.
Le défi : Faire croître un programme auxiliaire sans créer un précédent impossible
Lesandra nota que le Playhouse se concentre normalement sur l’achat et la présentation de spectacles d’arts de la scène axés sur le public :
Nous sommes un diffuseur. Nous sommes un lieu de spectacle. Nous devons rester concentrés sur ce que nous sommes dans la communauté et ce que nous offrons, parce que nous sommes le plus grand diffuseur dans la communauté. C’est ce que nous faisons, et personne d’autre ne le fait vraiment ici. Nous devons rester concentrés sur ce que nous sommes et sur notre mission.
Malgré le succès du programme de résidence InterMISSION, le Playhouse savait qu’à cause de sa capacité en matière de personnel et d’espace, ils ne pourraient pas reproduire le programme à la même échelle lorsque les tournées d’artistes reprenaient aux niveaux pré-pandémiques.
Tandis que les résidences en 2020-2021 permirent au Playhouse de continuer d’employer son équipe technique, Lesandra se souciait de ne pas les surcharger dans le futur avec un programme de résidence à grande échelle. « Tu ne veux pas que les gens soient ensuite brûlés, dit Lesandra. Les heures pour les techniciennes et les techniciens sont folles. »
En ce qui concerne la capacité du lieu, elle nota l’importance de trouver un équilibre entre maximiser l’emploi de l’espace en programmant des résidences durant les mois plus calmes, dont août et janvier, tout en permettant d’accomplir les réparations et les travaux importants au théâtre qui doivent normalement se produire pendant ces périodes. « Je crois qu’il s’agit de trouver un juste équilibre. Si nous sommes capables de bien faire les deux en permanence sans surmener les gens, encore mieux. »
En tant que diffuseur, le Playhouse considérerait normalement des paiements versés directement aux artistes comme étant hors de sa portée. Ils ont choisi de faire une exception dans le contexte de la pandémie parce que le projet InterMISSION s’est réalisé rapidement et il n’y avait pas de temps pour faire des demandes de subvention et ensuite d’attendre les réponses. « Dorénavant, nous aurons un délai plus grand, dit Lesandra. Nous ne payerons donc pas 100 $ par jour, mais nous fournirons l’espace, l’équipe technique professionnelle et aiderons les artistes qui voudront de l’aide avec la rédaction de demandes de subvention et de lettres d’appui. »
Les finances : Une campagne de financement ciblée et des subventions d’urgence
Le projet de résidences était innovateur pour le Playhouse sur le plan financier puisqu’il impliquait sa propre campagne de dons privés. Au-delà d’une campagne de don annuelle, « nous n’avions jamais mené une campagne séparée et vraiment ciblée. Cela était tout nouveau », dit Julie.
Julie était heureuse de voir que l’organisme a pu amasser 12 500 $ en dons privés de cette toute nouvelle source de revenus tout en accroissant la bonne volonté de la communauté envers le Playhouse grâce à l’initiative InterMISSION. Lesandra attribua la réussite de la campagne en partie à cause d’un souci et d’un appui plus grand envers la communauté artistique locale pendant la pandémie. Les mécènes du Fredericton Playhouse furent aussi invités à réassigner les remboursements pour leurs billets à la campagne de financement, ce que beaucoup d’entre eux ont choisi de faire.
Un des projets hébergés par la résidence était mené par un artiste de Broadway de prestige et comprenait trois représentations publiques. Le Playhouse laissa les artistes gérer et conserver toutes les recettes de ces représentations auxquelles presque tous les billets ont vendu. Tandis que les artistes conservaient les recettes de la billetterie, le Playhouse bénéficia de 5 000 $ en dons supplémentaires de la communauté grâce à ces représentations.
Le Playhouse obtint aussi des fonds d’aide d’urgence relatifs à la COVID-19 des gouvernements du Nouveau-Brunswick. Ils reçurent en tout 25 000 $ en financement spécial unique de la Fondation communautaire de Fredericton, de la Ville de Fredericton et de la province du Nouveau-Brunswick.
La leçon : Reconceptualiser le rôle du théâtre grâce à une approche itérative
Un élément clé de la réponse à la pandémie du Fredericton Playhouse était d’examiner et de redéfinir son rôle dans la communauté. En tant que lieu de spectacle et de diffuseur, le Playhouse n’embaucherait pas généralement des artistes pour des résidences. Cependant, dans le contexte de la pandémie, l’équipe se sentait responsable de créer des occasions pour les artistes locaux dont la carrière fut touchée de façon importante et de les aider à naviguer le paysage des subventions en constante évolution. « Les artistes émergents ne font pas de demandes de subvention, dit Lesandra. Il ne s’agissait pas uniquement de leur permettre de faire l’expérience du Playhouse, de travailler avec notre excellente équipe technique et d’avoir accès à la fonctionnalité et aux capacités de notre immeuble. Appuyer les artistes est aussi très important lorsqu’il s’agit des compétences professionnelles de base. »
Le programme InterMISSION exemplifie un modèle innovateur itératif : l’idée vit le jour sur un plan modeste et grandit selon les ressources disponibles, la demande de la part des artistes et le soutien de la communauté. « Nous n’étions pas certains de la taille que nous allions pouvoir lui donner », dit Julie. À mesure que le projet progressait et plus d’argent devenait disponible, « nous étions capables de financer de plus en plus de résidences. » Les résidences servirent de projet pilote pour aider au Playhouse à envisager la façon dont les résidences pourraient s’intégrer à leur saison régulière et s’aligner avec leur mission en tant que diffuseur. À l’avenir, Julie dit « qu’il est clair que nous ne pouvons pas avoir 10 ou 13 résidences chaque année, mais nous pouvons certainement en faire quelques-unes. »