Chercheure d’histoire : Blanche Israël
Personne passée en entrevue : Shaun Brodie, directeur artistique
Date d’entrevue : 11 août 2021
Le Queer Songbook Orchestra (QSO), formé en 2014 à Toronto, est un ensemble de chambre pop professionnel consacré à la célébration et au partage d’histoires et de musique de la communauté LGBTQ2+. Avant la pandémie, le QSO avait fait de nombreuses tournées partout au Canada et à l’étranger et avait été présenté dans de nombreux festivals des arts de la scène au Canada. En 2020, le directeur artistique du QSO, Shaun Brodie, fut confronté au nouveau contexte des tournées et il commença alors à imaginer une nouvelle voie pour l’ensemble. D’après lui :
Lorsque le confinement et ce grand abîme apparut, j’avais l’impression de partir d’une page blanche, parce que tout ce sur quoi nous nous concentrions n’était plus faisable dans un avenir prévisible. Après quelques mois à la dérive lors desquels je me demandais si l’organisme avait un avenir et je réfléchissais à la façon dont c’était avant la COVID, et en ayant l’espace et la tranquillité pour réinventer les choses et repenser à la façon dont nous faisons les choses, quelques idées commencèrent à prendre forme. Elles étaient toutes centrées davantage sur notre communauté locale : ce que nous pouvons faire ici plutôt que de penser dans cette perspective plus internationale sur laquelle j’étais fixé auparavant.
Au début de 2021, le QSO se constitua en organisme à but non lucratif consacré à utiliser des histoires et des chansons pour exprimer, honorer et élever l’expérience LGBTQ2+, y compris en fournissant des occasions de mentorat et d’autres soutiens pour les jeunes queers, trans, en questionnement et alliés. Tout en naviguant les difficultés liées à la nouvelle structure d’organisme à but non lucratif et les changements constants de la pandémie, le QSO créa un programme scolaire qui généra une nouvelle source de revenus avec des possibilités d’expansion partout au pays.
L’innovation : Collaborer avec des écoles et apprendre à diffuser en continu
Le QSO se fraya un chemin unique en tant qu’organisme des arts de la scène LGBTQ2+ qui faisait son entrée dans la sphère jeunesse. Précisément, le QSO créa QSO Kids, une émission numérique diffusée en continu pour les élèves au primaire, ce qui obligea l’organisme à apprendre à créer une émission pour un flux en direct tout en naviguant les demandes et les exigences des écoles.
L’ensemble avait été approché avant la pandémie pour créer du matériel pour des jeunes de 6 à 12 ans par des festivals comme le Junior Fest du Harbourfront Centre à Toronto et ArtStarts à Vancouver. « Nous avions un peu un concept et nous commencions à développer quelque chose en 2019, mais nous n’avions jamais le temps pour nous engager à le faire », dit Shaun. Juste avant la pandémie, un parent qui avait vu un spectacle du QSO demanda à Shaun si l’ensemble envisagerait donner un spectacle à l’école primaire McMurrich Junior Public School, où sa fille étudiait et où le parent siégeait au comité parental de la Fierté.
À l’automne 2020, une fois l’agitation entourant les premières fermetures d’écoles passée, le comité parental a repris le contact avec Shaun et ils commencèrent à se rencontrer régulièrement sur Zoom pour préciser l’offre. Sans même savoir quel serait le résultat des rencontres, Shaun était reconnaissant des appels réguliers : « C’était comme une heure de socialisation pour moi, c’était fantastique. » Ce niveau d’engagement de la part du diffuseur était une première pour le QSO. « Normalement, je ne travaille pas vraiment avec le diffuseur ou l’organisateur lors de la conception », dit Shaun. « Ils ont une idée de ce que nous faisons, ils nous invitent, et nous le faisons. » Mais dans ce cas-ci, le QSO a travaillé beaucoup plus étroitement avec le comité et avec l’école. « J’avais l’impression que nous étions plus comme une équipe. J’ai beaucoup aimé. »
Shaun a travaillé avec une équipe de parents et a consulté des pédagogues au cours de la création du spectacle pour s’assurer que le contenu était approprié pour les élèves. Selon Shaun :
Nous avons réfléchi longtemps sur la façon d’adapter notre matériel pour ce segment démographique plus jeune. Finalement, nous nous sommes concentrés sur des récits plus jeunes qui normalisent les identités queers, la différence et l’altérité. Notre intention avec cela est de mieux faire connaître l’expérience des personnes LGBTQ2+ afin que les enfants puissent s’identifier et afin de favoriser une compréhension plus large de la part des enfants qui ne sont pas queers.
En plus de ce changement au processus créatif, le QSO devait aussi comprendre l’aspect technologique de la captation du spectacle afin de le diffuser aux élèves. « Faire un flux en direct d’une heure — nous n’avions jamais tenté cela auparavant », nota Shaun. Le QSO utilisa son expérience avec des flux en direct courts et avec des spectacles préenregistrés pour les aider à bâtir son approche. Avec des ressources limitées, l’organisme comptait sur les compétences acquises indépendamment par les membres de l’organisme pendant leur temps libre durant la pandémie. Par exemple, la technicienne de son du groupe entama une formation pour accroître ses compétences en tant que technicienne pour flux en direct.
Après le spectacle pilote de QSO Kids en mai 2021, l’organisme fut capable d’utiliser le projet comme une validation de principe pour promouvoir et organiser un lancement beaucoup plus large sous forme de flux en direct et de préenregistrement pour des auditoires d’âge primaire de partout au Canada. Le QSO commença à travailler sur ce projet en août 2021 pour l’année scolaire 2021-2022 et obtint deux réservations pour le spectacle en direct en présentiel pour 2022 avec l’ensemble complet, si les conditions sanitaires le permettent.
Les défis : Réactions négatives possibles, manque de filet de sécurité
Le QSO est un organisme artistique axé sur les droits des personnes queers, ce qui peut présenter des défis en ce qui a trait aux prestations dans les écoles. Le QSO à dû être aux prises avec la possibilité de réactions négatives de la part des parents et des membres de l’administration, qui pourraient avoir des notions différentes de ce qui est approprié pour la tranche d’âge ciblée. Shaun se rappelle « qu’avant cette présentation en direct, nous avons envoyé certaines des histoires à une enseignante au primaire dans le nord du Manitoba. Son commentaire était que “l’école pour laquelle vous faites cela doit être une école beaucoup plus progressiste que celle où j’enseigne.” » À l’avenir, lors de l’élaboration du programme pour d’autres écoles partout au pays, le QSO pourrait faire face à des difficultés liées aux notions de pertinence et de progressisme.
Avant la pandémie, le QSO était une coopérative non incorporée dotée d’une infrastructure très minime qui dépendait de subventions de projets ponctuels et de cachets. Dans ce contexte, Shaun et les autres membres du QSO devaient occuper d’autres emplois tandis qu’ils essayaient de maintenir l’élan de l’organisme pendant les périodes d’incertitude produites par la pandémie. Le QSO fut réinventé afin de l’aider à surmonter la pandémie, y compris à travers son incorporation en tant qu’organisme à but non lucratif, démarche qui, Shaun l’espère, contribuera à augmenter la stabilité et la résilience du QSO à long terme.
Les finances : Un petit budget pilote avec le potentiel pour de nouvelles sources de revenus importantes
En tant que collectif communautaire, le QSO avait l’habitude de travailler avec des ressources limitées. Pour le projet pilote, le comité parental de la Fierté de la McMurrich Public School offrit au QSO une garantie modeste issue de son budget d’événements, que le QSO a été capable d’étirer pour répondre aux besoins du projet. « Nous avons été capables de trouver un lieu gratuit doté de toutes les capacités nécessaires pour produire des flux en direct, alors cet aspect ne nous a rien coûté », dit Shaun. La majeure portion du budget était axée sur la rémunération des autres membres du QSO. « Essentiellement, tout le monde a été payé à partir du cachet que nous avons reçu, sauf moi », dit Shaun.
Bien que le projet pilote n’ait pas rapporté beaucoup de revenus, il a ouvert la porte à une source de revenus complètement nouvelle pour le QSO : les cachets des écoles. En plus, lorsque le QSO commençait à développer l’idée au-delà du projet pilote, il entendit parler d’une subvention ponctuelle qui s’alignait parfaitement au projet : le programme Présent numérique du Conseil des arts du Canada. Grâce à cette demande de subvention réussie, Shaun dit qu’il « a maintenant un budget pour produire un spectacle préenregistré mieux réalisé, bien peaufiné et bien présenté qui sera disponible aux écoles au cours de la prochaine année ». Le financement servira à payer tous les artistes et à générer des revenus pour l’organisme au cours de la prochaine année. En prime : le budget ne dépend pas de la capacité d’offrir des spectacles en personne.
Les leçons : S’inspirer des défis du passé, puiser sur la flexibilité et la capacité d’adaptation
Pour surmonter les défis personnels et professionnels auxquels Shaun et le QSO ont fait face au cours de la pandémie, le directeur artistique tira parti de sa conviction que la beauté peut émaner de l’adversité. « Des idées fructueuses peuvent sortir, essentiellement, après avoir touché le fond. Originalement, l’idée vint du fait que je ne savais pas vraiment où je m’en allais et que j’étais ignorant face à mon futur professionnel et personnel, dit-il. Cette idée a commencé à prendre forme au croisement de mes idées et de mon identité. »
Sa résilience et sa persévérance, acquises durant des périodes d’incertitude, lui ont bien servi en 2020. Il expliqua que :
Lorsque la pandémie a frappé, nous avions un certain élan derrière nous, nous étions en train de comprendre ce que nous faisions et nous avions un spectacle en direct en bon état. Lorsque ce plan tomba à l’eau, j’ai encore une fois eu le sentiment que je ne savais pas ce que j’allais faire. De cette période de réflexion et de dérive, de nouvelles idées se sont formées.
Le succès du projet QSO Kids démontre que la flexibilité et la capacité d’adaptation sont essentielles. Selon Shaun, être résilient signifie « être capable de trouver des occasions lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu, puis être capable de le regarder d’un différent point de vue et voir ce que tu peux faire à partir de la situation dans laquelle tu te trouves ».