Chercheure d’histoire : Anju Singh
Personne passée en entrevue : Emma Hendrix, directeur général
Dates d’entrevues : les 14 et 19 juillet 2021
Comme de nombreux organismes au service des artistes, Video Pool Media Arts Centre (VP) a affronté différents défis pour continuer de répondre aux besoins des artistes tout au long de la pandémie. Lorsque les restrictions sanitaires provinciales sont entrées en vigueur au Manitoba, l’organisme basé à Winnipeg a dû interrompre beaucoup de ses services, ce qui a eu une incidence sur le soutien pour les artistes qui comptaient sur VP pour la location d’équipements, la formation et les installations. Toutefois, l’équipe de VP menée par le directeur général Emma Hendrix vit ces restrictions comme une occasion d’approfondir leur compréhension des obstacles à l’accès auxquels les membres de VP étaient confrontés avant même la pandémie.
En se basant sur son expérience antérieure d’administration de centre d’art autogéré, Emma était déjà conscient des obstacles à l’accès auxquels les organismes comme VP faisaient face, comme s’assurer que les lieux, les studios et les ateliers sont accessibles. Pour lui, « le concept d’accès ne fut que mis en lumière [pour VP] en raison de la pandémie, alors cela nous a permis de penser à ces choses différemment. »
Ces perspectives ont ultimement conduit l’organisme à explorer de nouvelles façons de diriger ses opérations et d’offrir ses programmes et services. Face à la question, « Comment devrions-nous changer la façon dont nous travaillons, étant donné la nouvelle réalité pandémique ? », le centre d’art autogéré s’engagea dans une réflexion adaptative et flexible qui mena à des changements importants au niveau de ses processus et de ses approches.
L’innovation : Une auto-évaluation approfondie face à la question : « À quoi un centre d’art autogéré devrait-il ressembler dans 50 ans ? »
Le travail d’équité et d’inclusion de Video Pool informe les solutions et les intentions de leur réponse aux obstacles reliés à la pandémie. En écoutant les communautés qu’il dessert, y compris les artistes dans les communautés rurales et urbaines au Manitoba, VP est capable de poser de grandes questions importantes comme : « Qu’est-ce que devrait et pourrait être l’avenir des centres d’art autogérés dans 50 ans ? » et « À quoi est-ce qu’un centre décentralisé, plus accessible et virtuel pourrait-il ressembler ? »
Pendant la pandémie, une réalisation clé pour VP était que les centres d’art autogérés doivent se livrer à une réflexion quant à leur rôle au sein de la communauté artistique en général et évaluer leur efficacité, puisqu’ils utilisent les mêmes structures et modèles standardisés depuis des décennies. La réflexion d’Emma l’apporta à se questionner : « parce que personne ne pouvait avoir accès à nos locaux pendant la pandémie et qu’il n’était pas sécuritaire d’échanger du matériel [pour les locations d’équipement], et que d’un point de vue légal nous n’avions pas le droit de le faire, nous avons commencé à penser à la façon dont cela mettait en lumière la réalité de tous les jours pour certaines personnes. »
VP prit l’occasion pour réviser les restrictions à l’accès qui avaient une incidence sur les artistes qu’il desservait. Le centre voulait aussi s’assurer que toute amélioration apportée à l’accessibilité de ses programmes et services aurait une portée au-delà de la pandémie. Emma explique qu’une combinaison de facteurs avança VP dans la bonne direction pour apporter des changements importants : « examiner les obstacles physiques en raison de la pandémie (restrictions à l’accès à cause de la pandémie, limites quant à la proximité physique, même l’incertitude quant à ce qui était sécuritaire) de pair avec des ateliers anti-oppression présentés par la Future Ancestors Society et un atelier sur la justice pour les personnes handicapées présenté par melannie monoceros. »
Un domaine d’intérêt clé pour l’organisme était ses programmes d’éducation. La stabilité accordée grâce au financement d’urgence du Conseil des arts du Canada, de la Winnipeg Foundation et des programmes d’urgence fédéraux permit à VP de réaffecter ses ressources vers l’élaboration d’une série d’ateliers en ligne gratuite intitulée « VP Learning Laboratories », menée par Heidi Phillips. Cette série fournissait des possibilités de perfectionnement professionnel aux artistes à la maison pendant la pandémie et offrait un revenu si nécessaire aux artistes qui animaient les ateliers à un moment où les possibilités de travail était limité ou inexistant à cause de la pandémie.
Bien qu’Emma ne perçoive pas les Learning Laboratories (laboratoires d’apprentissage) comme une innovation technique en soi — les ateliers étaient « juste sur Zoom » — la réponse positive au format virtuel encouragea VP à aller chercher des fonds pour étendre davantage ses ateliers en une approche d’apprentissage « HyFlex » (hybride-flexible). Emma explique que :
L’idée de base est qu’il s’agit d’un environnement d’apprentissage flexible avec des options en ligne et en présentiel, et ces options sont flexibles de sorte qu’un élève devrait être capable de participer dans l’une ou l’autre n’importe quand et obtenir la même expérience d’apprentissage. Pour VP, nous voulons être capables d’organiser des ateliers théoriques et pratiques et sensibiliser les gens à l’extérieur de Winnipeg.
Grâce au format virtuel durant la pandémie, le centre a eu des inscriptions à ses ateliers d’une zone géographique plus vaste, y compris certains de l’extérieur du Manitoba. VP travaille étroitement avec une équipe de consultation pour développer cette approche d’apprentissage pour veiller à ce qu’elle réponde aux besoins des communautés artistiques du centre.
Video Pool eut l’occasion de faire l’expérience des modèles d’apprentissage HyFlex pour la première fois grâce à sa participation à la Digital Dramaturgy Initiative (DDI) — un partenariat auquel VP participa avec la Manitoba Association of Playwrights (MAP). Une rencontre fortuite avec un dramaturge qui participait à l’initiative à laquelle VP fournissait du soutien technique et conceptuel aux artistes a permis à l’équipe de VP d’approfondir ses connaissances à propos de l’apprentissage HyFlex, ce qui a conduit VP à aspirer, « après la pandémie, d’appuyer les gens qui veulent venir en personne et ceux qui veulent se joindre en ligne — en gardant à l’esprit l’accessibilité et l’équité. »
En s’inspirant de ces expériences, Video Pool, mené par le directeur technique Eusebio Lopez-Aguilar, a créé un service/programme de location d’équipement portable, y compris des ordinateurs portables, des trousses pour la diffusion en continu et des trousses vidéographiques. Ces trousses portables complètent ou remplacent les ordinateurs de studio fournis actuellement à Video Pool, permettant ainsi aux artistes de travailler à distance d’une façon sécuritaire dans le contexte de la COVID. L’équipement a été photographié, pesé, et mesuré pour aider à la planification logistique liée au déplacement des trousses. Pour améliorer l’accès pour les artistes durant la pandémie, VP passa entièrement à un système de réservations en ligne qui fournit aux membres un accès 24 heures sur 24 pour se connecter et réserver de l’équipement.
Eusebio a également créé aussi une série intitulée BIPOC Tech Talk, en quelque sorte une réponse à la pandémie. Lors d’une table ronde d’artistes PANDC avant la pandémie, les personnes participantes avaient exprimé un intérêt envers un espace axé sur les artistes PANDC pour avoir des discussions sur la technologie. Emma partagea « qu’Eusebio dirige le programme et une des raisons pour laquelle il voulait l’organiser était pour continuer de bâtir une communauté pendant la pandémie et de le faire dans un espace [plus] sécuritaire pour les personnes PANDC. Eusebio est actif dans la communauté depuis longtemps alors c’est un endroit où il se sent à l’aise. »
En plus de ces programmes et services, VP évalue aussi sa structure d’adhésion en questionnant les suppositions répandues dans les centres d’art autogérés, comme par exemple l’idée que « les organismes devraient payer plus cher pour la location d’équipement ». VP reconnaît que la situation financière de certains organismes ne leur permet pas de payer plus que le taux chargé aux individus et que ce type d’obstacles à l’accès doit être retiré.
Plutôt que de se presser pour mettre en place des mesures propres à la COVID-19, Video Pool a choisi de travailler en vue d’élaborer des stratégies durables pour augmenter l’accès aux services du centre. L’organisme a mis en œuvre certains soutiens, comme aider les artistes à déplacer l’équipement, virer ses ateliers vers un format en ligne pour permettre aux artistes de créer plus librement et de manière plus flexible, développer de nouveaux règlements et de nouvelles politiques dans une perspective anti-oppressive et créer des politiques pour des environnements plus sécuritaires pour la prestation d’activités en ligne et en présentiel, mais ce n’est qu’un début.
Les défis : Contrainte de temps, maintien des opérations tout en innovant et financement à plus long terme
Tandis que VP élaborait des stratégies pour créer de nouveaux processus dans le but d’améliorer l’accès et œuvrait en vue d’un changement organisationnel transformatif, certains défis clés ont été identifiés : les contraintes de temps, le fonctionnement et le financement.
Afin de mettre au point des solutions de façon intentionnelle permettant de répondre aux besoins en mesure d’accès pour ces membres, VP devait prendre le temps nécessaire pour se livrer à une écoute approfondie et empathique afin de centrer la prise de décision et les voix des communautés sous-représentées ou qui ne sont pas typiquement invitées à la table pour les discussions portant sur les stratégies. Cette approche consultative contribua au succès du groupe BIPOC Tech Talk mené par Eusebio. Plutôt que de dire au groupe à quoi il devrait ressembler, VP a encouragé les personnes participantes à diriger et à élaborer le groupe. VP s’engagea aussi à prendre le temps nécessaire pour créer des espaces plus sécuritaires pour les personnes qui interagissent avec le centre et avec ses activités.
Maintenir les activités quotidiennes tout en faisant des « changements structuraux énormes » est un autre défi clé pour VP. Bien que la pandémie ait été déstabilisante pour les activités régulières du centre, elle donna à l’organisme une occasion de réfléchir et de poser des questions plus vastes pendant un répit temporaire de leur charge de travail normale. Tandis que les restrictions sanitaires commencent à se lever et les activités du centre retournent à la normale, certains s’inquiètent que les capacités pour entreprendre leur travail organisationnel transformatif seront limitées au moment où leurs obligations liées au fonctionnement reprennent.
VP s’attend aussi à avoir des défis liés au financement à plus long terme lorsque le financement spécial mis en place pendant la pandémie tire à sa fin. Il n’est pas rare que les bailleurs de fonds dans le domaine des arts accordent la priorité aux projets à « grand impact ». La priorité va souvent aux projets qui desservent tout simplement un grand nombre de personnes, plutôt qu’à ceux qui desservent un petit nombre de personnes d’une manière approfondie, ciblée et significative. C’est le défi auquel se confronte actuellement un des programmes de mentorat de VP axé sur les jeunes qui fournit des possibilités de perfectionnement professionnel pour quatre artistes dans le Nord du Manitoba. Tandis que le travail d’équité et de consultation communautaire de VP a identifié ceci comme étant la bonne stratégie pour servir les communautés sous-représentées et mal desservies, les organismes de financement ne saisissent pas encore bien l’importance de miser sur la qualité plutôt que sur la quantité à titre d’indicateur crucial pour l’évaluation.
Les finances : Utiliser le financement de soutien lié à la COVID-19 pour entreprendre l’élaboration d’un centre d’art autogéré plus inclusif
Video Pool a reçu du financement d’urgence lié à la COVID-19 du Conseil des arts du Canada et de la Winnipeg Foundation, ainsi que la Subvention salariale d’urgence du Canada. Pour VP, ceci voulait dire que l’organisme avait les ressources financières et la capacité (c.-à-d. le temps du personnel) pour poursuivre des innovations liées au processus organisationnel. Ce financement, accompagné d’une charge opérationnelle plus légère en raison des restrictions liées à la COVID-19, a permis à l’organisme plus d’occasions de discuter, de penser, d’apprendre, d’écouter et d’innover.
Avec le soutien du conseil d’administration, VP décida d’investir dans des solutions à long terme plutôt que des solutions temporaires axées sur la pandémie. Selon Emma, VP s’est demandé :
Si cet appui est là, est-ce qu’il y a une façon de le prendre et de le transférer dans la communauté ou d’améliorer notre organisme pour que, lorsque la pandémie est terminée, nous soyons un organisme beaucoup plus inclusif ou au moins sur le bon chemin ?
La leçon : Des petits pas plutôt que des gestes grandioses
Pour VP, une question clé est la suivante : « De quelles façons pouvons-nous appuyer diverses communautés, qu’elles soient à Winnipeg, dans le Nord du Manitoba ou ailleurs ? » L’action de ralentir pour prendre des décisions intentionnelles, réfléchies et à la suite de consultations signifie que l’organisme peut bâtir pour l’avenir en pensant de façon inclusive à tout le monde.
Emma a exprimé que VP en a beaucoup appris quant à l’importance de commencer par des petits changements, comme changer les poignées de porte pour les rendre plus accessibles pour un artiste en résidence, plutôt que de poser des gestes grandioses. Des plus petits changements peuvent intensifier l’impact et améliorer l’accès pour les membres de VP et des communautés qu’il dessert. Garder « la communauté » au cœur de son processus décisionnel a permis à l’organisme d’aller de l’avant sans abandonner des communautés d’artistes importantes.
Finalement, Emma réfléchit sur l’importance des partenariats :
Les partenariats sont tellement importants. Nous ne faisons pas tout cela seuls, nous le faisons avec d’autres. Ceci est vraiment informatif et difficile parce qu’on doit être prêt à se mettre dans un état vulnérable. On prend le temps et on fait l’effort pour vraiment penser à la façon de prendre soin les uns des autres.
VP a travaillé étroitement avec Arts AccessAbility Network of Manitoba sur le projet DATA (Diversity through Access to Technology and Arts), ainsi que sur des vérifications de l’accessibilité, ce qui a aidé l’organisme à comprendre qu’il devrait peut-être commencer à inclure des éléments comme un endroit tranquille pendant les événements pour certaines personnes participantes. Ceci peut aider à garantir « que quiconque se présente a le sentiment que peu importe ses besoins, on l’accueille. » VP a aussi collaboré avec Creative Manitoba et New Media Manitoba sur la conférence Merging Mindsets, qui vise à lier des artistes avec des membres du secteur qui travaillent avec les technologies. Cette conférence fut un succès, mais fut écourtée à cause de la pandémie.
L’approche de VP, qui consiste à encourager et à participer à une communauté de soins, a appuyé le travail innovateur important entrepris par le centre, tout en évoluant à un rythme modéré qui n’exclut personne.