Les artistes durant la pandémie : Tendances récentes et à long terme
Principaux constats
Ce rapport examine des données récentes et à long terme concernant les personnes qui œuvrent au cœur même du secteur des arts : les artistes. Les principales données et tendances au sujet de la population active artistique reposent en grande partie sur les données demandées à Statistique Canada dans le cadre de l’Enquête sur la population active (EPA). Fidèle aux rapports précédents de Hill Stratégies, le terme « artiste » regroupe les personnes œuvrant en création et en interprétation dans les arts de la scène, les artistes visuels, les artisans, les rédacteurs et les écrivains.
Le rapport fait la lumière sur d’importantes questions concernant le secteur des arts, notamment les suivantes :
- La pandémie a-t-elle eu des conséquences plus graves pour les artistes?
- Les pigistes ont-ils été les plus durement touchés?
- En 2021, la population active est finalement revenue, de façon générale, aux niveaux prépandémiques. En est-il de même pour les artistes?
- Est-ce que les artistes qui sont noirs, autochtones, autrement racisés ou des femmes ont été encore plus durement frappées par la pandémie?
Les statistiques nationales contenues dans ce rapport se greffent aux enquêtes menées précédemment dans le secteur des arts qui ont souligné les défis auxquels le secteur était confronté durant la pandémie. Par exemple, une étude menée pour l’organisme canadien J’ai perdu mon contrat a démontré que les contrats offerts aux artistes ont diminué considérablement en 2020 (avec une perte moyenne de 35 contrats et de 25 000 $ en revenus, ce qui représente une très grande portion du revenu habituel des artistes)[1].
Les principales données tirées de l’Enquête sur la population active attirent l’attention sur certains aspects concernant les conditions de travail des artistes en 2021 :
- Il y avait 152 000 artistes au Canada en 2021 (0,8 % de toute la population active).
- Les artistes ont travaillé au total 3,9 millions d’heures (soit 0,6 % de l’ensemble de la population active canadienne).
- Près des deux tiers des artistes travaillent à leur compte (65 % en 2021), une proportion assez constante au fil du temps. Ce taux de travail autonome est plus de quatre fois supérieur à celui de la population active en général (habituellement entre 14 % et 16 %).
- Les femmes représentent une faible majorité des artistes (en moyenne, 51 % de tous les artistes entre 1997 et 2021). Cependant, les femmes artistes ont eu constamment moins de travail rémunéré que les hommes. Elles sont associées à une part beaucoup moins élevée du total des heures travaillées (moyenne de 44 % entre 1997 et 2021) par rapport à la part qu’elles occupent parmi les artistes (moyenne de 51 %). La proportion de femmes artistes est demeurée relativement constante au cours de la période de 25 ans, et la part des heures travaillées par celles-ci n’a augmenté que légèrement.
- L’Enquête sur la population active compile uniquement les salaires et non les revenus tirés du travail autonome. En raison de cette limitation (et de la forte proportion d’artistes autonomes), les données sur le revenu n’ont pas été demandées.
Les conclusions concernant les changements induits par la pandémie en 2020 et 2021 comprennent notamment ce qui suit :
- Les artistes ont constaté une diminution de 15 % du total des heures travaillées entre 2019 et 2020, soit un changement beaucoup plus prononcé que la baisse de 9 % constatée dans la population active en général (voir le Graphique 1). Pour les artistes, les 3,3 millions d’heures travaillées en 2020 représentent le niveau le plus faible depuis 2000.
- Les artistes autonomes ont été les plus durement touchés aux creux de la pandémie. En 2020, les heures travaillées par les artistes autonomes ont diminué de 29 %, atteignant ainsi le plus bas niveau jamais vu. (1997 est la première année des données demandées.)
- En 2021, la population active en général a finalement rebondi aux niveaux prépandémiques, mais ce n’était pas le cas des artistes autonomes. Les heures travaillées par ces derniers sont demeurées 12 % inférieures en 2021 à celles de 2019, même si 2021 a été une année bien meilleure que 2020 (avec une hausse de 25 % des heures travaillées par rapport au plancher record de 2020).
- Pour tous les artistes, le total des heures travaillées en 2021 a légèrement dépassé le niveau de 2019 (de 3 %).
Les données recueillies sur les heures travaillées et les niveaux de stress indiquent un risque d’épuisement professionnel dans le secteur des arts. Les artistes ayant un emploi (non autonome) ont connu une hausse importante de leurs heures travaillées entre 2019 et 2021 (+32 %), mais le nombre de ces artistes a enregistré une hausse nettement moindre (+11 % entre 2019 et 2021). Par conséquent, la moyenne des heures hebdomadaires (à l’emploi principal) des artistes ayant un emploi a augmenté de 26,0 heures en 2019 à 30,7 en 2021 (soit une hausse de 18 %).
La charge de travail plus élevée a créé une hausse importante des niveaux de stress, selon une étude réalisée en 2020 sur les personnes travaillant dans le secteur artistique[2].
Les femmes artistes ont été particulièrement touchées par la pandémie. Entre 2019 et 2021, les heures travaillées par celles-ci ont baissé de 5 %, alors que les heures travaillées par leurs pairs masculins ont augmenté de 9 %.
Un rapport récent indiquait que les artistes autochtones et les autres Autochtones travaillant dans le secteur culturel ont vécu une plus grande précarité durant la pandémie[3]. En outre, un rapport portant sur les artistes noirs ou autrement racisés dans les industries du cinéma et de la télévision a révélé « une pénurie de récits issus de la communauté noire, autochtone ou autrement racisée et de membres de ces communautés travaillant à des postes de cadres en création », de même que des obstacles majeurs à l’emploi[4]. Ces conclusions n’ont pas pu être corroborées par l’Enquête sur la population active, puisqu’il est impossible d’obtenir des données fiables sur les artistes autochtones ou racisés, de même que sur les tendances au fil du temps compte tenu de la petite taille des échantillons et de la cueillette limitée de données au sujet de ces groupes. (L’EPA, qui dispose d’un échantillon beaucoup plus petit que le recensement, recueille des données sur la population active autochtone uniquement aux trois mois et n’a commencé à compiler des données sur la population active racisée qu’à l’été 2020.)
Rapport complet : Introduction
Ce RSA en bref analyse les statistiques sur les artistes et les autres personnes travaillant dans le secteur culturel en se basant sur l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada menée entre 1997 et 2021. Hill Stratégies a demandé des données personnalisées sur les artistes pour réaliser ce rapport. Fidèle à nos rapports précédents, le terme « artiste » englobe neuf groupes d’emploi[5] :
- Acteurs et comédiens
- Chefs d’orchestre, compositeurs et arrangeurs
- Danseurs
- Musiciens et chanteurs
- Producteurs, réalisateurs, chorégraphes et personnel assimilé
- Autres interprètes qui ne s’inscrivent pas dans les autres catégories
- Artisans
- Artistes des arts visuels
- Auteurs, rédacteurs et écrivains
L’information concernant ces neuf catégories d’emploi n’est disponible que sous une base regroupée (et non de façon individuelle).
D’abord, nous présentons certaines statistiques générales (mais intéressantes) issues des données de l’Enquête sur la population active. Puis, nous abordons certaines questions importantes concernant les artistes durant la pandémie dont nous avons entendu parler au sein de la communauté artistique.
Les artistes au sein de la population active
Le Tableau 1 présente certaines conclusions intéressantes qui seront abordées dans cette section au sujet des artistes et des autres membres de la population active.
Tableau 1 : Principales statistiques sur les artistes au sein de la population active (basées sur l’Enquête sur la population active) | |||
Statistiques | Artistes | Population active en général | Artistes par rapport à la population active |
Population active en 2021 (moyenne annuelle) | 152 000 | 18,9 millions | 0,8 % de toute la population active |
Total des heures travaillées en 2021 (moyenne annuelle) | 3,9 millions | 608 millions | 0,6 % de toutes les heures travaillées |
Taux de travail autonome en 2021 (moyenne annuelle) | 65 % | 15 % | 4,6 fois plus élevé |
Pourcentage des femmes dans la population active (moyenne sur 25 ans : de 1997 à 2021) | 51 % | 47 % | 4 % plus élevé |
Pourcentage des heures travaillées par les femmes par rapport à l’ensemble de la population active (moyenne sur 25 ans : de 1997 à 2021) | 44 % | 41 % | 3 % plus élevé |
Source : Analyse par Hill Stratégies des données personnalisées demandées à Statistique Canada dans le cadre de l’Enquête sur la population active. |
Population active et heures travaillées
En 2021, on comptait 152 000 artistes au pays, ce qui représentait 0,8 % de l’ensemble des 18,9 millions de personnes comprises dans la population active canadienne.
Les artistes ont travaillé au total 3,9 millions d’heures en 2021, ce qui revient à 0,6 % des 608 millions d’heures travaillées par l’ensemble de la population active canadienne.
Sur une base hebdomadaire, la moyenne des heures travaillées par les artistes dans leur emploi principal (25,8 heures) était nettement inférieure à la moyenne de l’ensemble de la main-d’œuvre canadienne en 2021 (32,2 heures). Cependant, il convient de noter que bon nombre d’artistes combinent plusieurs emplois, souvent dans des industries durement touchées par les restrictions liées à la pandémie (par exemple, les organismes artistiques, la restauration et d’autres industries de service). De plus, il est beaucoup plus difficile de comptabiliser les heures de travail autonome, en particulier des artistes, comparativement aux heures des personnes salariées dans la population active.
L’artiste Shannon Litzenberger a identifié de nombreuses activités non rémunérées que font les artistes, notamment « la recherche de projets, la rédaction de propositions de service, l’autopromotion, le réseautage avec des diffuseurs, des producteurs, des galeristes et des éditeurs, la formation continue, la recherche de méthodes créatives pour nourrir l’inspiration, et le temps consacré à des périodes ouvertes d’imagination »[6].
Taux de travail autonome extrêmement élevé
Les deux tiers des artistes travaillent à leur compte (65 % en 2021). Cette proportion est demeurée relativement constante au fil du temps. En revanche, le taux de travail autonome dans l’ensemble de la population active était de 14 % en 2021, soit plus de quatre fois moins que chez les artistes.
Compte tenu du taux de travail autonome extrêmement élevé parmi les artistes, ce rapport met l’accent particulièrement sur les artistes autonomes. Ce taux élevé signifie que le nombre d’emplois artistiques ne fluctue pas autant avec la conjoncture économique que dans les autres secteurs. Dans cette situation, le nombre total d’heures travaillées est un meilleur indicateur de la croissance et de la baisse du secteur; c’est pourquoi ce rapport se penche particulièrement sur ce facteur.
Tendances à long terme
Entre 1997 et 2021, le nombre total d’heures travaillées par les artistes a augmenté de 17 %, ce qui est moins élevé que du côté de la population active en général (30 %).
Durant la même période, le nombre d’artistes a augmenté de 28 %, ce qui est également moins élevé que la hausse de 38 % enregistrée au sein de la population active en général.
Tendances à long terme pour le travail autonome
Entre 1997 et 2021, le total des heures travaillées par les artistes autonomes a augmenté de 12 %. Il s’agit d’un contraste important par rapport à la baisse de 5 % des heures travaillées par l’ensemble des personnes qui travaillent à leur compte dans la population active. En fait, en 2021, les heures compilées pour le travail autonome étaient au plus bas depuis 2002.
Durant la même période, le nombre d’artistes autonomes a augmenté de 32 %, soit un taux nettement supérieur à la hausse de 14 % parmi les personnes travaillant à leur compte au sein de la population active en général.
Les femmes et les hommes artistes
Jusqu’à très récemment, l’EPA consignait de l’information seulement liée aux femmes et aux hommes, sans tenir compte des autres identités de genre. En raison de cette limitation, ce rapport comprend uniquement l’information sur les femmes et les hommes.
Les femmes sont légèrement majoritaires parmi les artistes (une moyenne de 51 % de tous les artistes entre 1997 et 2021). Cette proportion a varié d’une année à l’autre, mais pas de façon importante au cours de la période de 25 ans : les femmes représentaient 51 % des artistes durant les cinq premières années de la période de collecte de données et 52 % des artistes durant les cinq dernières années de cette même période. (En raison des fluctuations de données d’une année à l’autre, cette information est présentée sous forme de moyennes sur cinq ans.)
Entre 1997 et 2021, les femmes ont constamment eu beaucoup moins de travail rémunéré en tant qu’artistes que les hommes : les femmes sont associées à une part beaucoup moins élevée du total des heures travaillées (44 %) par rapport à la part qu’elles occupent parmi le nombre d’artistes (51 %). Les femmes représentaient 44 % du total des heures travaillées par les artistes durant les cinq premières années de la période de collecte de données et 46 % du total des heures travaillées durant les cinq dernières années de cette même période.
Sur une base hebdomadaire, les femmes artistes ont travaillé en moyenne 23,3 heures dans leur emploi principal, ce qui représente 25 % moins que la moyenne de 30,9 heures du côté des hommes entre 1997 et 2021. La moyenne hebdomadaire des heures travaillées par les femmes était 26 % inférieure à celle des hommes durant les cinq premières années de la période de collecte de données et 22 % plus faible durant les cinq dernières années de cette même période.
Principales questions liées aux artistes durant la pandémie
Le Tableau 2 présente certains changements importants attribuables à la pandémie concernant les artistes et le reste de la population active dont nous discuterons dans cette section.
Tableau 2 : Changements dans les heures travaillées pour différents groupes de la population active entre 2019 et 2021 (moyennes annuelles issues de l’Enquête sur la population active) | |||
Groupe | 2019 à 2020 | 2020 à 2021 | Toute la période : 2019 à 2021 |
Artistes autonomes | -29 % | +25 % | -12 % |
Artistes ayant un emploi | +15 % | +15 % | +32 % |
Tous les artistes | -15 % | +20 % | +3 % |
Population active | -9 % | +9 % | 0 % |
Femmes artistes | -10 % | +6 % | -5 % |
Hommes artistes | -19 % | +34 % | +9 % |
Toutes les femmes au sein de la population active | -10 % | +11 % | 0 % |
Tous les hommes au sein de la population active | -8 % | +8 % | -1 % |
Source : Analyse par Hill Stratégies des données personnalisées demandées à Statistique Canada dans le cadre de l’Enquête sur la population active. |
La pandémie a-t-elle eu des conséquences plus graves pour les artistes?
Oui. Les artistes ont vu le total de leurs heures travaillées diminuer de 15 % entre 2019 et 2020, comparativement à une baisse de seulement 9 % dans le reste de la population active.
Les 3,3 millions d’heures travaillées par les artistes en 2020 étaient le niveau le plus bas atteint en vingt ans (depuis 2000). En comparaison, les heures travaillées par toute la population active canadienne ont atteint leur plus bas niveau en dix ans (depuis 2010).
Étant donné que deux tiers des artistes travaillaient à leur compte, il n’y a pas eu de changement majeur dans le nombre de personnes travaillant en tant qu’artistes. En fait, il y a eu une faible hausse (+2 %) entre 2019 et 2020.
À la fin de 2020, une enquête menée auprès d’artistes et de personnes travaillant dans le secteur des arts a révélé que 43 % des personnes interrogées s’attendaient à avoir un revenu inférieur à 20 000 $ cette année-là. Cette rémunération extrêmement faible – sous le seuil de la pauvreté dans plusieurs territoires – n’était attendue que par 15 % des personnes interrogées avant la pandémie[7].
Durant la pandémie, le soutien au revenu offert par le gouvernement a été très important pour bon nombre d’artistes. Une analyse réalisée par Statistique Canada a estimé que 63 % des personnes admissibles dans le secteur des arts, du divertissement et des loisirs ont reçu au moins un paiement de Prestation canadienne d’urgence (PCU) en 2020[8].
Les pigistes ont-ils été les plus durement touchés?
Les pigistes ont effectivement été les plus durement touchés au plus fort de la récession pandémique. En 2020, les heures enregistrées par les artistes autonomes étaient au niveau le plus bas depuis 1997, soit la première année de cette demande de données. Cela est attribuable à la baisse soudaine de 29 % des heures travaillées par les artistes autonomes entre 2019 et 2020.
La pandémie a été difficile pour tous les pigistes, mais pas autant que pour les artistes autonomes. La diminution des heures travaillées pour l’ensemble des personnes à leur compte était de 18 % entre 2019 et 2020, ce qui est nettement moins prononcé que la chute de 29 % du côté des artistes autonomes.
Les artistes autonomes n’ont pas d’emploi fixe comme les personnes employées. Ces pigistes ont tendance à travailler souvent et à des heures irrégulières, y compris pour effectuer des activités qui offrent peu ou pas de rémunération directe (par exemple, le réseautage, la rédaction de propositions de service, la promotion, la formation continue, etc.). Ainsi, les artistes autonomes peuvent techniquement travailler, même s’ils n’ont pas d’occasions de travail rémunérées.
Dans les statistiques de la population active, le problème principal pour les artistes autonomes réside dans les heures travaillées, vu la perte importante de contrats en 2020. Les données de l’EPA indiquent que le nombre d’artistes autonomes a relativement peu changé entre 2019 et 2020 (+1 %) et entre 2019 et 2021 (-4 %). Cependant, une étude réalisée auprès de 1 037 personnes travaillant dans le secteur des arts et de la culture (dont la plupart sont des artistes) a révélé que, en moyenne, chaque personne interrogée a perdu 35 contrats et 25 000 $ en revenus en 2020[9]. La perte de 25 000 $ en revenus est une part importante du revenu moyen lié aux arts pour les personnes en question en 2019 (31 000 $). Presque tous les répondants (99,6 %) ont indiqué que leurs revenus seraient réduits en 2020, comparativement à 2019. Les personnes interrogées ont perdu différents types d’occasions de travail dans les arts, principalement du côté des spectacles, des activités de formation, des productions, des festivals, des répétitions, des activités créatives et des ventes[10].
En 2021, la population active est finalement revenue, de façon générale, aux niveaux prépandémiques. En est-il de même pour les artistes?
Seulement pour les artistes ayant un emploi et non pour la portion travaillant à leur compte. Les statistiques concernant l’ensemble des artistes masquent cette dichotomie.
En 2021, le total des heures travaillées par tous les artistes a légèrement dépassé le niveau de 2019 (de 3 %). Le nombre d’artistes n’a pas changé beaucoup entre 2019 et 2021, n’augmentant que de 1 % au cours de la période.
Pour les artistes autonomes, 2021 a été bien meilleure que 2020 : les heures travaillées ont augmenté de 25 % en 2021 depuis le creux historique de 2020. Malgré cela, le nombre d’heures travaillées par les artistes autonomes était, en 2021, 12 % inférieur à 2019.
Contrairement aux artistes autonomes, les heures travaillées par les artistes ayant un emploi n’ont pas diminué durant la pandémie. En fait, leurs heures ont plutôt augmenté de 15 % entre 2019 et 2020, et d’un autre 15 % entre 2020 et 2021 (pour une hausse totale de 32 % des heures travaillées entre 2019 et 2021).
Les dirigeants du secteur artistique s’épuisent-ils à tenter de maintenir leurs organismes en vie? Sont-ils nombreux à quitter des postes de cadres dans le secteur des arts pour partir à la retraite?
Pour cette analyse, le tiers des artistes ayant un emploi est utilisé comme approximation pour les « cadres du secteur des arts », puisque nous croyons que de nombreux artistes ayant un emploi sont ceux qui occupent des postes de cadre, dont la direction artistique, la direction musicale, la direction des galeries et les conservateurs.
Nous n’avons pas de données directement liées à l’épuisement professionnel et aux départs à la retraite, mais les données sur les heures travaillées et les niveaux de stress pointent vers un tel risque dans le secteur des arts.
Les artistes ayant un emploi ont vu une augmentation importante de leurs heures travaillées en 2020 et en 2021 (soit une hausse de 15 % chaque année). La croissance totale entre 2019 et 2021 s’élève à 32 %.
Le nombre d’artistes ayant un emploi a connu des hausses beaucoup plus minces entre 2019 et 2020 (5 %) et entre 2019 et 2021 (11 %).
La moyenne hebdomadaire des heures travaillées par les artistes ayant un emploi a augmenté de 18 % entre 2019 et 2021 (de 26,0 à 30,7 heures).
Concernant les niveaux de stress dans le secteur des arts, 79 % des organismes artistiques ayant répondu à l’Enquête nationale sur les répercussions dans le secteur culturel ont indiqué qu’ils constataient, à la fin de 2020, des niveaux élevés ou très élevés de stress et d’anxiété, comparativement à seulement 25 % avant la pandémie[11].
Y a-t-il eu une « récession des femmes » dans le secteur des arts, dénotée par une proportion de travail moins élevée pour les femmes[12]?
Bien qu’il soit préférable d’analyser la ventilation démographique de l’EPA avec prudence (en raison de l’échantillon relativement petit de l’enquête), les données sur les heures travaillées pointent bel et bien vers une période particulièrement difficile pour les femmes. Entre 2019 et 2021, les heures travaillées par les femmes artistes ont baissé de 5 %, alors que celles des hommes artistes ont augmenté de 9 %.
Cependant, les hommes artistes ont connu une chute plus brutale de leurs heures en 2020 (-19 %, comparativement à la baisse de -10 % pour les femmes artistes) et un rebond beaucoup plus marqué des heures en 2021 (+34 %, comparativement à celui de +6 % pour les femmes).
Les artistes autochtones ont-ils été encore plus affectés par la pandémie?
L’Enquête sur la population active présente seulement des données trimestrielles sur la main-d’œuvre autochtone. Par conséquent et puisque l’échantillon de personnes interrogées est particulièrement limité (c’est-à-dire que les artistes représentent environ 1 % de la population active totale et que les peuples autochtones représentent environ 3 % des artistes), la main-d’œuvre autochtone n’a pas été incluse dans la demande de données personnalisées.
Certains rapports qualitatifs récents ont exploré la situation des artistes autochtones. À la lumière des entrevues menées auprès d’artistes et d’autres personnes autochtones travaillant dans le secteur culturel, un rapport de 2020 publié par le Yellowhead Institute indique que la précarité des artistes autochtones et de leurs pairs dans le secteur culturel (de même que la diversité de façade et l’exploitation) a été « amplifiée durant la pandémie de COVID-19 »[13]. Les personnes interrogées « ont exprimé un sentiment général de précarité et une crainte que les institutions culturelles se protègent elles-mêmes plutôt que de protéger leur personnel » durant la pandémie[14]. Pour certains artistes autochtones, la pandémie a freiné leur lancée professionnelle : « leur carrière commençait à prendre son envol grâce à la visibilité accrue générée par l’année de la réconciliation [2017], mais ils craignent maintenant de perdre le public qu’ils avaient conquis, voire de perdre leur carrière »[15].
Même s’il ne porte pas précisément sur les répercussions de la pandémie, un récent rapport aborde la crainte des artistes de la scène autochtones interrogés dans le cadre du projet « au sujet de la pandémie actuelle et des répercussions à moyen et à long terme sur les arts de la scène autochtones. Ils espèrent tous le retour à une présence continue et accrue de la création théâtrale, synonyme d’un moment authentique et significatif entre les créateurs et le public. »[16] Le rapport indique que « le besoin d’être plus autonome a été mis en évidence durant la pandémie mondiale actuelle, avec l’absence des déplacements. Afin que les arts de la scène soient plus autonomes, il doit y avoir plus de ressources. »[17]
Et qu’en était-il pour les artistes noirs et autrement racisés durant la pandémie?
L’Enquête sur la population active a commencé à recueillir des données sur la main-d’œuvre racisée uniquement à l’été 2020. Par conséquent et puisque l’échantillon de personnes interrogées est particulièrement limité pour les artistes racisés (c’est-à-dire que les artistes représentent environ 1 % de la population active totale et que les peuples racisés représentent environ 15 % des artistes), la main-d’œuvre racisée n’a pas été incluse dans la demande de données personnalisées.
Cependant, un rapport publié récemment a présenté la situation de « la population canadienne autochtone, noire et de couleur dans l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision », basée sur une revue de la littérature, des entrevues et une enquête. Dans cette industrie, le rapport a mentionné une « pénurie de récits consacrés aux personnes noires, autochtones et de couleur, de même que de professionnels issus de ces communautés à des postes créatifs de cadres (comme les postes d’écriture-production, de réalisation et de production) », ce qui représente un « obstacle majeur à l’emploi pour les talents et les autres professionnels noirs, autochtones et de couleur »[18]. L’enquête menée dans le cadre de l’étude (auprès de 663 répondants) a dévoilé que « plus du quart des personnes interrogées a décrit une discrimination flagrante qui faisait obstacle à l’emploi »[19].
Conclusion
L’Enquête sur la population active offre des estimations opportunes – en particulier pour les membres de la population active ayant un emploi –, mais elle ne nous éclaire pas sur de nombreux éléments importants aux yeux de la communauté artistique, dont le revenu généré par le travail autonome et les ventilations démographiques liées aux artistes des communautés autochtone, noire, racisée, 2SLGBTQIA+, S/sourdes et avec un handicap. L’EPA peut nous aider à relever certaines tendances, mais ne peut pas nous éclairer sur les raisons de ces tendances (par exemple, pourquoi et comment certains groupes d’artistes ont-ils été affectés de façon disproportionnée par la pandémie?).
Le recensement canadien est une source d’information plus solide, incluant des données intersectionnelles et sur les revenus issus du travail autonome. Cependant, le recensement n’a lieu que tous les cinq ans et ne répond pas de façon approfondie aux questions sous-jacentes des statistiques.
D’autres études sur les artistes avaient tendance à être ponctuelles, adaptées aux besoins de publics spécifiques et non répétées. On n’y retrouve donc pas d’information sur les tendances. Or, certaines études quantitatives et qualitatives ont creusé plus en profondeur dans les questions sous-jacentes aux données (dont le comment et le pourquoi).
Bref, notre connaissance de la situation des artistes au Canada est bien incomplète. Cela dit, ce problème pourrait se régler à l’aide d’une enquête régulière et constante auprès d’eux. Une telle enquête devrait comporter un échantillon suffisant pour fournir une grande précision au sujet des artistes, dont au sujet des aspects intersectionnels qui affectent un si grand nombre d’artistes dans leur vie professionnelle. Cela pourrait également nous éclairer sur les raisons qui sous-tendent certains constats.
Notes
[1] Impact pour les personnes : résumé des impacts économiques à partir des réponses soumises entre le 30 mars et le 15 août 2020, J’ai perdu mon contrat Canada, 2020, https://ilostmygig.ca/?lang=fr.
[2] Enquête nationale sur les répercussions dans le secteur culturel : Rapport sur les organismes, PRA Inc., janvier 2021, https://oc.ca/fr/enquete-nationale-repercussions-secteur-culturel/. 79 % des organismes artistiques ayant répondu à l’enquête ont indiqué avoir constaté à la fin de 2020 des niveaux élevés ou très élevés de stress et d’anxiété, comparativement à seulement 25 % avant la pandémie.
[3] A Culture of Exploitation: “Reconciliation” and the Institutions of Canadian Art, Lindsay Nixon, Yellowhead Institute (Université Ryerson), août 2020, p. 10, https://yellowheadinstitute.org/a-culture-of-exploitation-reconciliation-and-the-institutions-of-canadian-art/.
[4] Changer le discours : Statut des personnes noires, autochtones et de couleur en 2020 dans l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision (Changing the Narrative: 2020 Status of Canadian Black, Indigenous and People of Colour in Canada’s Screen-based Production Sector), Maria DeRosa et Marilyn Burgess, Reelworld Screen Institute, 2021, p. 2, https://www.reelworld.ca/reportsignup.
[5] Pour en savoir plus sur les groupes d’emploi, consulter l’Annexe 2 de notre rapport sur les artistes, basé sur le recensement de 2016 (https://hillstrategies.com/resource/profil-statistique-des-artistes-au-canada-en-2016/?lang=fr).
[6] State of Emergence: Why We Need Artists Right Now, Shannon Litzenberger, décembre 2021, p. 5, https://shannonlitzenberger.medium.com/state-of-emergence-why-we-need-artists-right-now-e7958d705caa.
[7] Enquête nationale sur les répercussions dans le secteur culturel : Rapport sur les personnes, PRA Inc., janvier 2021, p. 5, https://oc.ca/fr/enquete-nationale-repercussions-secteur-culturel/.
[8] Travailleurs recevant des paiements du programme de la Prestation canadienne d’urgence en 2020, par René Morissette, Martin Turcotte, André Bernard et Eric Olson, Statistique Canada, juin 2021, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2021001/article/00021-fra.htm. Il est important de noter que ces statistiques tiennent seulement compte des personnes ayant gagné plus de 5 000 $ en 2019; un critère essentiel à l’admissibilité à la PCU. Le taux de 63 % dans le secteur des arts, des spectacles et des loisirs, de même que celui de 67 % parmi les travailleurs du secteur de l’hébergement et des services de restauration sont presque le double du taux estimé pour l’ensemble de la population active canadienne (35 %).
[9] Impact pour les personnes : résumé des impacts économiques à partir des réponses soumises entre le 30 mars et le 15 août 2020, J’ai perdu mon contrat Canada, 2020, https://ilostmygig.ca/.
[10] Basé sur les données non publiées de l’organisme J’ai perdu mon contrat Canada, 2021.
[11] Enquête nationale sur les répercussions dans le secteur culturel : Rapport sur les organismes, PRA Inc., janvier 2021, https://oc.ca/fr/enquete-nationale-repercussions-secteur-culturel/.
[12] Des analystes du marché du travail ont inventé le terme « she-cession » en anglais, ou « récession des femmes », qui combine le pronom « elle » et le mot récession afin de mettre en lumière les défis particuliers auxquels les femmes ont été confrontées au sein de la population active au cours de la pandémie, notamment en raison des responsabilités liées aux soins prodigués aux enfants et aux aînés qui leur incombent souvent. Voir, par exemple, https://globalnews.ca/news/6907589/canada-coronavirus-she-session/.
[13] A Culture of Exploitation: “Reconciliation” and the Institutions of Canadian Art, Lindsay Nixon, Yellowhead Institute (Université Ryerson), août 2020, p. 10, https://yellowheadinstitute.org/a-culture-of-exploitation-reconciliation-and-the-institutions-of-canadian-art/.
[14] Idem, p. 12.
[15] Ibid.
[16] Looking at Indigenous Performing Arts on the Territory Known as Canada, Primary Colours / Couleurs primaires, Sara Roque, France Trépanier, Denise Bolduc, Chris Creighton-Kelly et Richael Laking, janvier 2021, p. 12, https://www.primary-colours.ca/projects/134-part-1-indigenous-arts-training-and-infrastructure?locale=fr.
[17] Idem., p. 14.
[18] Changing the Narrative: 2020 Status of Canadian Black, Indigenous and People of Colour in Canada’s Screen-based Production Sector, Maria DeRosa et Marilyn Burgess, Reelworld Screen Institute, 2021, p. 2, https://www.reelworld.ca/reportsignup.
[19] Ibid.
Rapport complet
Télécharger le rapport complet