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Les personnes, classes, quartiers et villes créatifs

janvier 5, 20065 janvier 2006

La notion de créativité, telle qu’appliquée aux personnes, aux classes, aux quartiers et aux villes, est au centre des préoccupations depuis le succès de The Rise of the Creative Class de Richard Florida. Selon cette analyse, les gens veulent vivre « là où ça bouge », les travailleurs et les travailleuses de la classe créative sont attirés par des lieux créatifs, et les emplois suivent les gens et non le contraire.

Les arts, la culture, la créativité et l’innovation retiennent ainsi l’attention des milieux du développement économique et de la planification urbaine. L’idée que le secteur des arts et de la culture puisse favoriser la créativité et l’innovation suscite de nouveau de l’intérêt. Les gouvernements municipaux et les organismes sans but lucratif examinent des façons de créer des lieux à caractère artistique qui soient abordables, sécuritaires et diversifiés.

Dans son ouvrage The Creative City, Charles Landry se propose de « décrire une nouvelle méthode de planification urbaine stratégique ». Mais qu’est-ce qu’une ville créative au juste ? Dans un rapport de recherche pour les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, Neil Bradford définit les villes créatives comme « des lieux dynamiques d’expérimentation et d’innovation, où de nouvelles idées s’épanouissent et où des gens de tous les milieux se rencontrent pour améliorer la qualité de vie, de travail et de loisirs de leur collectivité ».

Landry suggère qu’il y a sept groupes de facteurs à l’œuvre dans une ville créative : des gens créatifs; la volonté et le leadership; la diversité humaine et l’accès à des talents variés; une culture organisationnelle dotée d’une ouverture d’esprit; une identité locale positive et forte; des espaces et des installations urbaines; et des possibilités de réseautage.

Un rapport de la Conférence canadienne des arts intitulé Le développement de l’art et l’art du développement propose huit exemples de « partenariats puissants qui se sont développés entre les artistes et les communautés créatives qui deviennent prospères en s’articulant autour de leurs entreprises ». Dans plusieurs exemples, des initiatives communautaires ont réussi à transformer des situations désastreuses (une fermeture d’usine, un centre-ville en difficulté, le besoin de préserver un art traditionnel) en occasions uniques de concertations. Comme le fait remarquer l’auteur Silver Donald Cameron, les organisations qui réussissent comprennent qu’il y a des enjeux multiples (financiers, environnementaux, artistiques et sociaux).

Un article récent de Bill Breen dans le magazine américain Fast Company se penche sur la créativité démontrée par 238 personnes dans sept entreprises des secteurs des produits de consommation, de la haute technologie et des produits chimiques. Se basant sur une étude publiée par Theresa Amabile dans le Harvard Business Review, cet article tente de « faire éclater six mythes qui nous sont chers au sujet de la créativité », soit : la créativité vient des types créatifs; l’argent est un motivateur de la créativité; les échéances serrées alimentent la créativité; la peur favorise les percées; la concurrence l’emporte toujours sur la collaboration; et une organisation rationalisée est une organisation créative. L’article indique que « la créativité dépend d’une foule de choses : l’expérience, y compris les connaissances et les capacités techniques; le talent; la capacité de penser de façon nouvelle; et la capacité de traverser les pannes de créativité. La motivation intrinsèque – les passionnés du travail travaillent souvent de façon créative – joue un rôle particulièrement essentiel. »

Si tout le monde est créatif, en quoi les artistes et les organismes culturels contribuent-ils aux villes créatives ? Bien que Landry déclare que nous « devons abandonner la notion que la créativité soit l’apanage exclusif des artistes », il affirme que les artistes peuvent entraîner des « connexions inattendues » en fournissant des expériences favorisant l’introspection et l’imagination qui unissent les gens. Dans son mot de clôture lors de la conférence nationale de 2003 de la Conférence canadienne des arts, Silver Donald Cameron résumait ainsi l’apport possible des artistes aux villes créatives : « La solution créatrice de problèmes dont est fait le travail quotidien de l’artiste… peut certainement contribuer énormément à l’inventaire général de solution de problèmes d’une société, puisque c’est un élément central du processus d’innovation dans tous les domaines… Les gens qui ont le courage d’innover ont aussi le courage de présenter des exigences à leur société à tous les niveaux. »

Bien que l’ouvrage de Landry propose un modèle du « cycle de créativité urbaine » ainsi que les caractéristiques générales des villes sur une « échelle de développement d’une ville créative », il ne contient pas d’indicateurs spécifiques ni d’outils de mesure permettant d’établir le degré de créativité d’une ville. D’autres groupes cherchent à mettre au point des indicateurs de créativité locale. Toronto Artscape a publié deux rapports qui tentent de « comprendre le profil complexe des effets sociaux, culturels et économiques des activités culturelles et artistiques au niveau du quartier et d’utiliser cela pour inspirer des pratiques exemplaires de prise de décision pour la planification, le développement de capacités et la durabilité. »

Basé sur trois études de cas à Toronto et à Vancouver, Beyond Anecdotal Evidence fait état de l’évolution des conditions économiques locales, du milieu social, du caractère des quartiers et de la démographie à la suite d’investissements dans des installations culturelles. Les chercheurs notent qu’ils concluent à des associations plutôt que d’en établir la causalité. Toutefois, le rapport indique que « dans les trois domaines [étudiés], il y a lieu de croire que le volet artistique et culturel de la région est fortement associé à la croissance, au développement, à l’embourgeoisement, à l’investissement, etc. »

Parmi les changements socioéconomiques et démographiques observés dans les quartiers étudiés on trouve des niveaux de scolarité supérieurs, des revenus plus élevés, plus de cols blancs, moins de chômage, plus de gens d’âge moyen, plus de couples sans enfant et des familles plus petites. De plus, la valeur des propriétés a augmenté, le nombre de permis de construction a augmenté (dans le cas de Vancouver), le roulement des entreprises était élevé et de nouvelles entreprises ont été créées, dont certaines directement reliées à la culture. Les ventes au détail ont également augmenté.

Dans sa plus récente mise en application de ses théories au Canada, Montréal, ville de convergences créatives : Perspectives et possibilités, Richard Florida brosse un portrait optimiste des perspectives de croissance de Montréal. Toutefois, l’étude ne propose pas de détails méthodologiques ni de preuves des relations entre les indicateurs mis en vedette dans les tableaux et les graphiques du rapport. Il faut accepter comme un dogme que Montréal, « un des secrets les mieux gardés d’Amérique du Nord », est une « étoile montante » de la nouvelle économie du secteur créatif.

En réalité, bon nombre des indicateurs dans ce mémoire ne semblent pas favoriser les possibilités de croissance de Montréal. Le premier graphique du rapport indique que Montréal se trouve dans la moitié inférieure de l’échelle de sept critères généraux, à l’exception de la création récente d’emplois. Les six indicateurs où Montréal est en position défavorable sont la croissance de la population, la croissance de l’emploi (à long terme), la croissance du revenu par habitant, la croissance solide, la croissance récente de la population et un indice de créativité. Aucun de ces indicateurs n’est défini dans le rapport.

Montréal se classe un peu mieux au niveau du talent, de la technologie et de la tolérance. Dans une étude précédente (Competing on Creativity, 2002), Florida et ses collaborateurs ont utilisé des données du recensement de 1996 pour classer Montréal au dixième rang de 25 régions métropolitaines du recensement du Canada sur l’indice du talent, quatrième sur l’indice bohémien, onzième sur l’indice de la mosaïque et premier sur l’indice technologique. On ne précise pas si ces classements historiques auraient été assez élevés pour alimenter la croissance générale de Montréal entre 1996 et 2001 (qui, selon le nouveau rapport, n’a pas été particulièrement vigoureuse comparativement à celle d’autres villes nord-américaines).

Au cours des dix prochaines années, on prévoit que le secteur créatif de Montréal croîtra de 21 %, soit moins que le secteur des services (croissance de 34 %) mais plus que le secteur ouvrier (croissance de 14 %). L’exactitude de ces extrapolations des tendances de croissance historiques peut être douteuse. De plus, les définitions du secteur ne sont pas fournies dans le rapport, mais elles doivent l’être dans une version savante du mémoire.

Le deuxième tableau du rapport indique que Montréal se classe à un niveau élevé parmi 25 régions métropolitaines nord-américaines en ce qui a trait au nombre de travailleurs « de base supercréatifs ». Montréal ne suit que Toronto à ce classement, Vancouver arrivant bon troisième. Toutefois, Montréal arrive dans le tiers inférieur du « palmarès élargi de la classe créative » (18e), soit assez loin derrière Toronto (7e) et Vancouver (12e). Le rapport ne contient aucune précision sur les relations entre ces indicateurs et la croissance générale.

Basé sur 33 entrevues, le rapport comporte également une brève discussion qualitative des connexions locales entre la technologie et la communauté artistique, celles attribuables à la nature linguistique de Montréal et celles découlant de sa position géographique et culturelle.

Bien que le secteur créatif contribue certainement au bien-être de Montréal et d’autres régions métropolitaines d’Amérique du Nord, ce rapport, par son absence de définitions et de précisions méthodologiques, ne nous aide pas beaucoup à comprendre le pourquoi ni le comment de cet apport.

Remarque : Le numéro 5, volume 3 de Recherches sur les arts a examiné quatre rapports de recherche des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques consacrés aux villes créatives. Le numéro 10 du volume 2 a examiné plusieurs rapports et articles des partisans, adeptes et détracteurs des théories sur la classe créative de Richard Florida, avec une attention particulière aux incidences pour le Canada.

The Rise of the Creative Class de Richard Florida (2002)
Choix de textes dans http://www.catalytix.biz/default.htm ou http://www.creativeclass.org.

The Creative City de Charles Landry (2000)
Choix de textes dans http://www.comedia.org.uk

Montréal, ville de convergences créatives : Perspectives et possibilités (2005)
Catalytix, disponible auprès de Culture Montréal
http://www.culturemontreal.ca/dossiers/dossiers.htm
http://www.culturemontreal.ca/pdf/050127_catalytix_fr.pdf

Voir également La créativité comme principal moteur de développement de Montréal (28 février 2005)
Chambre de commerce du Montréal métropolitain
http://www.btmm.qc.ca/asp/contenu.asp?lang=1&GrSection=4&rubrique=123

Competing on Creativity: Placing Ontario’s Cities in a North American Context
Institute for Competitiveness and Prosperity, décembre 2002
http://www.competeprosper.ca/index.php/work/research/#competing_on_creativity_placing_ontarios_cities_in_north_american_context

Creative Cities: Structured Policy Dialogue Backgrounder (2004)
Neil Bradford, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques
http://www.cprn.ca/fr/doc.cfm?doc=1081

6 Myths of Creativity par Bill Breen, magazine Fast Company (2004)
http://www.fastcompany.com/magazine/89/creativity.html

L’art du développement et le développement de l’art : Un partenariat puissant – les entreprises, les collectivités et les arts (2004)
Conférence canadienne des arts et Programme d’assistance technique au développement économique communautaire
Disponible sur demande auprès de la Conférence canadienne des arts, (613) 238-3561, info@ccarts.ca

Actes de la conférence nationale, Conférence canadienne des arts (2003)
http://www.ccarts.ca/fr/events/npc2003/
http://www.ccarts.ca/en/events/npc2003/documents/HFXConferenceReport.pdf

Beyond Anecdotal Evidence: The Spillover Effects of Investments in Cultural Facilities
et
Critique and Consolidation of Research on the Spillover Effects of Investments in Cultural Facilities
Toronto Artscape
http://www.torontoartscape.on.ca/research/

Voir également Spillover Effects of Investments in Cultural Facilities, en vente au Centre for the Study of Commercial Activity de l’Université Ryerson, rapport de recherche 2004-07
http://www.csca.ryerson.ca/publications/2004-07.html

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